Toute la tendresse du monde

Toute la tendresse du monde

Publié le samedi 10 septembre 2011 à 11H00 - 

« Le minuscule et attendrissant renardeau rouquin »

LA forêt d'Ardenne, quelque part du côté de Sedan. Allez savoir depuis combien de temps ils sont là, Brigitte Hirardot et Denis Mignon, immobiles, comme statufiés dans une tenue de camouflage digne d'un commando de choc ? Le temps s'arrête dès lors qu'ils s'adonnent à leur passion, la capture d'animaux sauvages dans des appareils photographiques. Chut ! Un bruissement inaudible pour un promeneur ordinaire. A l'affût dans les fougères, Brigitte retient sa respiration. Dans son téléobjectif surgit une petite tête rousse. Pour ainsi dire celle d'une peluche dont un enfant ferait un doudou.
Le minuscule et attendrissant renardeau rouquin, il est là, en photo, dans un livre qui m'est parvenu par hasard. Mon ami Sylvain me l'a confié en me priant de le lui rendre afin qu'il s'empresse de le redonner à ses amis Brigitte Hirardot et Denis Mignon, auteurs et réalisateurs de cet ouvrage magnifique tiré à douze exemplaires réservés exclusivement à leurs proches. Impensable ! Je vous assure qu'il suffirait d'en changer le titre vraiment mièvre (Sylvestra, fil de saisons en Ardenne), d'ôter de la couverture cartonnée l'arbre déguisé en sorcière, pour qu'une telle œuvre envoûte les amoureux de l'Ardenne et de la nature. Fichtre ! Qu'attend un éditeur pour le publier !
Un rêve d'enfant
Le renardeau rouquin triomphe dans les premières pages du livre. Pas moins de neuf photos pour notre doudou ! Ses premiers pas à l'orée du terrier. Sa sieste dans les pattes de maman, au doux soleil d'avril. Son clin d'œil au frère jumeau. Le récit poétique et pédagogique de Brigitte accompagne le reportage photographique. « Les yeux des renardeaux resteront bleus jusqu'à la cinquième semaine avant de s'obscurcir. Leur regard est tel un reflet d'aigue-marine… »
A la fois album et précis d'initiation à la nature, l'ouvrage transporte dans un univers auquel le reportage intimiste confie un je-ne-sais-quoi d'à la fois vrai et irréel tant s'y réfugie toute la tendresse du monde. Comment ne pas tomber en arrêt devant un daguet aux abois dont seule la tête émerge prudemment dans les fougères roussies de l'automne ? Comment ne pas être attendri par un brocard sommeillant dans un buisson de myrtilles ? Comment ne pas partager le destin hivernal d'une chevrette broutant, la tête en l'air, les feuilles mortes serties de glace d'un arbre enneigé ?
Fabuleuse Brigitte Hirardot ! Fabuleux Denis Mignon ! Eux qui se déclarent « chasseurs d'images » sont tout simplement, je pèse mes mots, des braconniers du sublime. « Durant combien d'années ai-je espéré apercevoir un faon ! », écrit Brigitte. Le voici lové dans les ramures printanières d'un fourré. « Ce jour-là, poursuit-elle, fut l'émerveillement et l'accomplissement d'un rêve d'enfant ».
Carolomacérienne depuis l'âge de deux ans, Brigitte, dès son enfance, est émerveillée par nos forêts. Élève au collège Rimbaud, elle y fonde un club d'initiation à la nature avec des camarades dont entre autres Catherine Moreau, Brigitte Léonard, Marie-Claude Guéry. Devenue, après ses études, cadre supérieur de santé au centre hospitalier de Charleville-Mézières, elle ne pouvait qu'y tomber amoureuse de Denis Mignon, technicien supérieur de maintenance dans le matériel médical.

Le prochain
Originaire de Reims, passionné par la photographie, Denis fut initié à la nature par sa tante Gabrielle chez qui, enfant, il a vécu des vacances bucoliques. Sa chère tante Gabrielle à qui pour l'en remercier il a offert le jour de ses quatre-vingt-sept ans un livre conçu rien que pour elle ! Sur la couverture cartonnée est précisé qu'il contient des « photographies de Brigitte Hirardot et de Denis Mignon, en milieu ouvert, en forêt d'Ardenne »
Ils sont ainsi, Brigitte et Denis, des êtres comme on n'en voit plus, des êtres capables de payer de leurs poches la fabrication en deux exemplaires d'un livre qu'ils ont passionnément réalisé pour l'offrir à une seule personne. Un exemplaire pour le cadeau, un exemplaire pour leur bibliothèque.
Pudiques, ils ne comprennent pas mon emballement pour leur œuvre et que je leur reproche de ne pas songer à s'adresser à un éditeur. « Pour nous, confie Brigitte, l'important c'est de découvrir d'autres merveilles ». Un long silence. Denis me tend timidement un album. « C'est le prochain, dit-il, il devrait être terminé en 2012 ». Je le feuillette. Des animaux sauvages, des oiseaux, beaucoup d'oiseaux, une atmosphère de petit matin d'automne ou de brunante de mars. Cette fois le titre est à peu près convenable, « Rêves de brume en Ardenne » Dans la préface, Brigitte confie : « Le chasseur d'images est un homme aux semelles de vent ».
Qu'en pensent les chênes de nos forêts ?
Yanny HUREAUX